Malgré des difficultés dans les transports, nous nous retrouvons à 21 au Grand Palais pour la visite de « l’exposition Toulouse-Lautrec, résolument moderne » sous la conduite de la conférencière, Odile Déchelotte.
Dans un premier temps, elle nous résume la vie du peintre Henri de Toulouse-Lautrec-Monfa né à Albi, le 24 novembre 1864 qui est le fils du comte Alphonse de Toulouse-Lautrec-Monfa et de la comtesse Adèle, née Tapié de Céleyran. La famille s’installe à Paris, Henry entre au lycée Fontanes (futur lycée Condorcet) où il rencontre Maurice Joyant qui sera son ami fidèle, son marchand, son premier biographe et l’un des créateurs du musée Toulouse-Lautrec d’Albi.
Il est atteint d’une maladie génétique, la pycnodysostose, due sans doute à la consanguinité de ses parents, cousins germains. Cette maladie affecte le développement des os, tant et si bien qu’en trébuchant, il tombe deux fois, les fractures se réduisent mal et aggravent son retard de croissance. Il échoue au baccalauréat à Paris mais est reçu à la session d’octobre à Toulouse. Il décide alors de devenir artiste. De retour à Paris, il rejoint l’atelier de René Princeteau, peintre animalier et ami de son père, puis celui de Léon Bonnat, portraitiste et peintre d’histoire. Plus tard, il devient l’élève de Fernand Cormon et se lie d’amitié avec Louis Anquetin et Albert Grenier. Il y rencontre également Emile Bernard et Vincent Van Gogh dont il exécutera le portrait au pastel.
Albert Grenier Emile Bernard Vincent Van Gogh
Après cette biographie, nous débutons la visite de l’exposition avec pour fil conducteur l’esprit novateur du peintre nourri de multiples influences.
La naissance de la photographie va libérer les artistes de la représentation naturaliste. La photographie remplace la peinture figurative, les artistes se détournent alors de cette quête de la réalité d’où l’apparition dès lors de l’impressionnisme et l’expressionnisme. Lautrec sera emporté par cette tendance et sera aussi influencé par la caricature, celle d’Honoré Daumier, notamment dont les œuvres commentent la vie sociale et politique au 19e siècle. Ce graphisme satirique se retrouve dans la caricature du portrait de Chocolat.
Chocolat
Autre influence majeure dans l’œuvre de Lautrec, le japonisme. Van Gogh, rencontré dans l’atelier de Fernand Cormon, lui transmet sa passion des estampes japonaises. Il choisira donc un sceau japonisant pour signer ses tableaux.
Toulouse Lautrec se situe entre l’impressionnisme et l’Art nouveau. Quand il s’installe à Montmartre, il se lie avec Edgar Degas qu’il admire. Dans certains tableaux, on retrouvera les mêmes points de vue en plongée utilisés par Degas pour représenter les danseuses. On retrouve aussi chez Lautrec, des éléments impressionnistes comme une dominante de la clarté pour donner la sensation d’espace. Mais ce n’est pas un grand coloriste, il utilisera une palette limitée de noir, d’ocre, de rouille et de blanc. A la manière des impressionnistes, sa touche est libre et fragmentée, en revanche, sur les affiches, la ligne enferme le contour des formes à la manière des estampes japonaises.
On peut aussi rapprocher son style de l’expressionnisme, ses œuvres sont des caricatures et des études psychologiques très fines de la société qui associent une grande tension dramatique à des éléments décoratifs. Il traduit la psychologie de ses personnages en montrant l’humanité d’un monde confus, ridicule et vulgaire.
Peintre postimpressionniste, Lautrec comme Cézanne, Van Gogh, Gauguin et Seurat appartient à ce courant artistique. Appellation qui s’applique à des artistes qui innovent et choisissent de se libérer des académismes et d’une certaine morale officielle ce qu’il lui a fait dire : j’ai voulu « faire vrai et non pas idéal ». Son humour le conduira même à parodier le tableau de Puvis de Chavannes « le bois sacré ». Il demeurera en marge de toute école. En choisissant des thèmes populaires, en traduisant le quotidien, il ouvre la voie à des artistes comme Picasso.
Comme nous le rappelle le titre de l’exposition : « Résolument moderne », Toulouse Lautrec choisit des sujets qu’il connait ou qui l’intéressent et qui couvrent toutes les classes sociales : nobles, artistes, écrivains, sportifs, médecins et figures pittoresques de Montmartre. De nombreux tableaux montrent des prostituées car le peintre fréquente de façon régulière et assidue les maisons closes. Entré dans l’intimité des filles, il peut croquer chacune de leurs attitudes sur le vif. Souvenez-vous lors du goûter feutré dans une ancienne maison close, Vincent Delaveau, notre conférencier évoquait ce penchant en précisant que Toulouse Lautrec avait une chambre à demeure à la Fleur Blanche au 6 rue des Moulins. Il lui fallait des êtres « naturels » et dont les gestes et attitudes n’étaient pas entravés.
Suzanne Valadon Carmen Gaudin Jeanne Wenz
Autre thème récurrent chez Toulouse Lautrec, les affiches. Elles ont laissé, dans l’inconscient collectif, une trace profonde et fascinent encore aujourd’hui. Sans elles, se souviendrait-on de Bruant, de la Goulue, de Jane Avril, d’Yvette Guilbert, de May Belfort, de May Milton et de tant d’autres ?
Aristide Bruant La Goulue Jane Avril May Milton Yvette Guibert
L’ engouement du public pour les affiches de Lautrec est immense – elles sont arrachées des murs sitôt collées – désormais cette forme d’art est considérée d’avant garde. Lautrec innove et réduit les spectres des couleurs au jaune, au rouge, au bleu et au noir. Ses noirs sont extraordinaires. Il obtient des verts olive profonds en mélangeant des encres. Il utilise une technique appelée le crachis : c’est une pluie fine d’encre faite à partir d’un couteau que l’on passe sur une brosse à dents encrée. Il est le premier publicitaire….
Toulouse Lautrec a une autre passion et ce, depuis l’enfance, le cirque : le cirque Fernando, le nouveau cirque, Papa Chrysanthème. Ce thème restera privilégié tout au long de sa carrière. Il y exprime, comme dans un miroir, ses propres vertiges. Afin de sortir de la clinique où sa mère l’a fait interner, il prouve sa bonne santé mentale en dessinant de mémoire clowns et écuyères : « j’ai acheté ma liberté avec mes dessins » déclare-t-il.
Toulouse Lautrec est curieux de tout, les scènes de la vie moderne l’inspirent, du vélo à l’automobile. Il crée en 1896 une affiche publicitaire pour la chaine Simpson (qui existe toujours). En revanche, il ne rencontrera pas la danseuse américaine, Loïe Fuller, semble-t-il peu intéressée par son travail, mais célèbrera cette nouveauté chorégraphique dans une série d’estampes.
Henri de Toulouse Lautrec meurt le 9 septembre 1901 au château de Malromé. Odile Déchelotte tient à préciser que ce dernier entretenait, contrairement à certaines rumeurs, de bonnes relations avec son père et nous cite une partie de la lettre émouvante de son père adressée à sa grand-mère lors de son décès.
Après deux heures d’une visite passionnante. Certaines vont déjeuner ensemble au restaurant du Grand Palais, d’ autres regagnent ou plutôt tentent de regagner leur domicile.
Texte : Jocelyne Poulizac