Après une attente de onze mois, nous nous retrouvons enfin sur le parvis du nouveau tribunal judiciaire de Paris installé depuis avril 2018 dans le quartier des Batignolles.
Avec notre guide Lora Romano, nous pénétrons dans le bâtiment après avoir franchi les portiques de sécurité à notre étonnement sans décliner notre identité, ni présenter notre pass sanitaire.
Même étonnement en entrant dans la Salle des Pas Perdus, nous accédons librement à la partie accessible au public et aux justiciables baignée de lumière où l’architecte a voulu afficher cette transparence comme doit l’être la justice, loin de l’idée d’une majesté de la loi, d’une justice triomphante.
Renzo Piano, l’architecte
Conçue par Renzo Piano, le « père » de Beaubourg, la structure de l’édifice est l’alliance du verre et de l’acier avec pour souci constant la qualité esthétique et le confort des justiciables, magistrats, fonctionnaires et avocats. 7 000 personnes y circulent chaque jour.
Il a mis en œuvre une symbolique civique : l’entrée se fait de plain-pied sur le même niveau que celui de la ville, à l’intérieur, pas de grands escaliers. Il fait le choix de l’horizontalité plutôt que celui de la verticalité. Renzo a également planté des arbres sur les terrasses du bâtiment aux 8e, 19e et 29e étages, l’arbre étant le plus vieux symbole de la Justice.
Ce gratte-ciel culmine avec ses 38 étages à 160 mètres de haut sans toutefois dépasser la Tour Montparnasse avec ses 210 mètres. Il est composé de trois blocs, chacun d’une dizaine d’étages, regroupant les services administratifs et juridictionnels et repose sur le socle qui abrite le Tribunal.
Il est particulièrement fonctionnel et éco-responsable puisqu’il bénéficie des techniques les plus modernes en matière d’économie d’énergie : panneaux solaires, sols avec géothermie et ventilation naturelle, de récupérateurs d’eau de pluie et d’équipements informatiques innovants au service des professionnels et du public.
Un soin particulier a été apporté au mobilier et aux boiseries présentes dans l’ensemble du bâtiment. Les teintes claires et lumineuses confèrent aux espaces une ambiance apaisante.
Ensuite, Lora nous explique que ce tribunal a été conçu comme une véritable cité judiciaire réunissant l’ensemble des tribunaux de Paris à l’exception des Cours d’Appel et de Cassation qui siègent toujours dans l’ancien Palais de justice sur l’Ile de la Cité.
La direction régionale de la Police Judiciaire dont les locaux communiquent par des souterrains avec le Bastion complète cet ensemble. Elle est implantée 36 rue du Bastion en référence au célèbre « 36 quai des Orfèvres ». 210 cellules s’étagent sur deux sous-sols dont 140 pour les sortants de garde à vue et 70 pour les personnes sous écrou – une vraie petite maison d’arrêt.
C’est le plus grand complexe de tribunaux d’Europe que de nombreuses délégations étrangères viennent visiter pour s’en inspirer.
Ce nouveau tribunal rime également avec proximité et simplicité, l’orientation s’impose d’emblée à gauche le civil, à droite le pénal.
SAUJ
L’idée est que les gens s’orientent facilement pour obtenir un renseignement, un rendez-vous ou pour trouver le lieu de leur audience. Des tables d’orientation sont à disposition et un service
d’accueil unique du justiciable (SAUJ) ouvert de 9 h à 18 h en continu permet d’obtenir informations, formulaires et possibilité de déposer un dossier de procédure.
Les magistrats quant à eux passent plus vite de leur bureau à l’endroit où ils vont statuer en utilisant les 50 ascenseurs, rien à voir avec les épuisants 24 km de dédale de l’ancien Palais de Justice.
Nous croisons également des avocats revêtus leur robe noire. A la différence des avocats de province, les avocats parisiens arborent, sur l’épaule gauche, l’épitoge dépourvue d’hermine. On dit qu’elle est veuve. Cette suppression serait due à une tradition non confirmée, « au deuil de Malesherbes », principal avocat de Louis XVI lors de son procès qui fut guillotiné pour l’avoir défendu ou bien à la défiance des avocats parisiens à l’encontre de Napoléon III qui voulait leur faire prêter serment.
Nous traversons, de nouveau, la Salle des Pas perdus, éclairée naturellement par des puits de lumière pour rejoindre les escaliers mécaniques menant aux 90 salles d’audience contre 26 dans l’ancien Palais.
Au deuxième étage, Lora nous conduit à travers les étroits couloirs d’où nous observons de près la façade vitrée du bâtiment (50000 m2 de verre).
Les vitrages multifonctions offrent un confort optimal que ce soit en isolation acoustique et thermique, contrôle solaire, protection contre les incendies et esthétique grâce aux sérigraphies. Sans oublier la sécurité : au rez-de-chaussée, un mur de verre blindé de 10 cm d’épaisseur et 2 m de haut court tout le long des baies vitrées de la façade !
Au 4e étage, nous pénétrons dans une petite salle d’audience, une innovation : cette salle appelée « goutte d’eau » où seule la balance au mur (dessinée par Renzo Piano), emblème de la Justice, nous rappelle la solennité des lieux. Juge et parties se tiennent autour d’une table ovale, propice à la conciliation « symbole d’une nouvelle approche du rapport du justiciable au juge ». Toutefois, la chaise du juge possède un dossier plus haut que les autres sièges !
Dans ces salles d’audience, les ordinateurs et les tablettes remplacent les épais dossiers et les feuilles volantes. De petits boxes permettent également aux avocats de s’entretenir en tête à tête avec leurs clients.
A la fin de la visite guidée, Lora nous propose avant de nous quitter d’assister à un procès en comparution immédiate pour illustrer la magistrature. Elle fait les recommandations d’usage, pas de photos, interdiction de parler et obligation de rester un minimum de temps pour ne pas troubler l’audience. A l’entrée, un gendarme vérifie que nos portables sont bien éteints. Certains assisteront à la totalité des comparutions prévues dans cette salle, d’autres ne contenteront d’une seule. Et d’autres encore, comme le tribunal est ouvert à tous et en permanence, repartent avec l’intention de revenir pour « ressentir » cet esprit et s’approprier ce lieu rendu si accessible.
Texte : Joëlle EGRET – Photos : Christiane BRUNEAU, Jocelyne POULIZAC & Philippe VIE