Exposition : Pionnières, artistes dans le Paris des années folles – Lundi 13 juin 2022

Lundi 13 juin, des perturbations dans les transports en commun retardent l’arrivée de quelques adhérents, seule Jacqueline ne pourra nous rejoindre, son train étant supprimé. C’est donc un groupe de 19 personnes qui part à la découverte de l’exposition sous la conduite d’Odile Déchelotte. Elle distribue les billets d’entrée et les audiophones, la visite peut commencer.

Le musée du Luxembourg nous présente le travail de 45 artistes du monde entier plus ou moins connues, qu’elles soient peintres, sculptrices, cinéastes, chanteuses ou encore designers.

La révolution russe d’Octobre 1917 et le traité de Versailles de 1919 dessinent de nouvelles frontières provoquant des déplacements de populations, dont celui de nombreuses artistes femmes en quête d’indépendance. Aux États Unis, la prohibition et le racisme poussent toute une génération de femmes vers les capitales européennes notamment Paris.

Au cours de ces éphémères années folles beaucoup d’entre elles séjournent à Paris pendant quelques semaines ou quelques années.

Odile Déchelotte nous invite à entrer dans la première salle, introduction à l’exposition : Les Femmes sur tous les fronts.

Cette introduction nous indique comment la guerre a promu les femmes engagées volontaires comme infirmières au front mais aussi remplaçant à la ville comme à la campagne, les hommes décimés par une guerre meurtrière partout où leur présence est nécessaire. Elles deviennent ainsi fermières, ouvrières, médecins…

Un document vidéo montre les femmes travaillant dans une usine d’armement, conduisant un bus, agentes de voiries.

Faisant face à l’écran : une carte qui indique les origines de toutes les artistes présentées dans l’exposition, de la Russie à l’Amérique, l’Inde et toute l’Europe.

Un panneau affiche aussi les droits que les femmes conquièrent peu à peu : les luttes pour le droit de vote refusé par trois fois au Sénat, le droit de se syndiquer (1920) …

Face à l’entrée, le tableau intitulé « La mort et la Femme » de Marevna, pseudonyme de Marie Vorobieff (1892-1984), peintre russe. Nous observons un tête-à-tête saisissant entre un soldat- squelette et une survivante portant un masque à gaz, témoignage sur les ravages de la première guerre mondiale et des mutilations des gueules cassées.

Un film est consacré à l’engagement d’Anna Coleman Ladd (1878-1939), sculptrice américaine responsable de l’atelier de fabrication de masques de La Croix Rouge à Paris pendant la Première Guerre mondiale. Elle a travaillé avec les « Gueules Cassées » pour la fabrication de masques pour les soldats mutilés.

Gertrude Vanderbilt Whitney (1875-1942), sculptrice, collectionneuse d’art et mécène met sa fortune au service de l’effort de guerre et crée l’Hôpital américain de Neuilly sur Seine.

Elle fonde en 1931, le Withney Muséum of Américain Arts à New York.

Étude de tête pour le mémorial du Titanic vers 1924 qui se trouve à proximité du Washington Channel

Irina Codreanu dite Irène Codreano (1896-1985), sculptrice roumaine, célèbre la nouvelle mode des garçonnes avec la tête sculptée de Doria Gansaragan, droite, fière et fuselée.

Portrait de Doria Gansaragan 1926, bronze avec patine verte, socle en bois.

Nous progressons dans la salle suivante : Comment les avant-gardes se conjuguent au féminin

Les années folles sont une période d’insouciance au début du XXème siècle, c’est une période de révolution culturelle et sociale, de libération sexuelle, surtout pour les femmes. Paris devient alors le lieu de toutes les avant-gardes, foyer artistique incroyable, animé par des artistes français et internationaux. De nombreuses femmes connues ou oubliées maintenant sont évoquées.

Adrienne Monnier (1892-1955) et Sylvia Beach (1887-1962) ouvrent chacune une librairie : la Maison des Amis des livres et Shakespeare and Compagny qui deviennent les lieux phares de la création littéraire de l’époque.

Germaine Dulac (1882-1942), réalisatrice, productrice et scénariste française de films et courts métrages.

Loïe Fuller (1862-1928), danseuse américaine, pionnière de la danse moderne.

Elles accèdent aux grandes écoles d’Art jusqu’alors réservées aux hommes, certaines sont les élèves de Rodin et d’Antoine Bourdelle.

Marie Vassilieff (1884-1957), peintre et sculptrice russe, fonde en 1910 l’Académie russe pour les artistes non francophones, puis l’Académie Vassilieff en 1912.

Marie Laurencin (1883-1956), peintre, enseigne avec Fernand Léger à partir de 1924, à l’Académie moderne. Dans cette école se diffuse l’abstraction auprès des élèves venus du monde entier.

De nombreuses femmes artistes sont alors attirées par l’abstraction qui leur permet de s’affranchir des catégories de genre, contrairement à la figuration qui les impose.

Marcelle Cahn (1895-1981) peintre française – Composition abstraite (1925) huile sur toile

Franceska Clausen (1899-1986) peintre danoise – Eléments mécaniques (1926) huile sur toile

Marjorie Jewell Moss dite Marlow (1889-1958) peintre britannique -Composition en blanc, rouge et gris (1935) Huile sur toile

Anna Prinner, dite Anton Prinner (1902-1983) pratiquait la peinture, la sculpture, la gravure, français d’origine hongroise affirmait que « sculpteur n’avait pas de féminin » Construction en cuivre (1935) Laiton et cuivre.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

La salle suivante est intitulée : Vivre de son art

Vivre de son art est la condition première de l’indépendance des femmes. Pour gagner leur vie, les artistes des années folles réalisent des travaux leur permettant de trouver facilement des acheteurs. Elles créent des décors et des costumes pour des pièces de théâtre ou des ballets ou bien des marionnettes.

         

Alice Halicka, collages tissus, papier sur carton    Sophie Taeuber – marionnettes pour la pièce « le roi-cerf »

                                                     

Marie Vassilieff – marionnettes pour la pièce « le château du roi » et pour la pièce « Avant, pendant, après»               

Certaines inventent et fabriquent des marionnettes, des poupées-portraits : Sophie Taeuber-Arp (1889-1943), Marie Vassilieff (1884-1957) ou des tableaux textiles : Alice Halicka (1889-1974).

L’artiste Stefania Lazarska (1887-1977) ouvre en 1914 un atelier de confection de poupées revêtues de costumes historiques ou folkloriques vendues au profit de la communauté artistique polonaise à Paris.

La mode est également illustrée par deux manteaux de Sarah Lipska (1882-1973) peintre, styliste et décoratrice française d’origine polonaise.

Gabrielle Chanel (1883-1971) est également représentée par « la petite robe noire » de haute couture qui deviendra un classique des années 1920 alors que le noir à l’époque était lié au veuvage et à la domesticité.

Pour compléter, le tableau de Mademoiselle Chanel signé Marie Laurencin (1883-1956)

Sonia Delaunay (1885-1979) peintre française d’origine ukrainienne et Sarah Lipska ouvrent des boutiques où elles présentent des vêtements, meubles et objets de leur création.

Nous poursuivons notre visite par la salle : Les garçonnes

Ce mot est popularisé par le roman de Victor Marguerite « la garçonne » paru en 1922. Il présente une jeune femme indépendante menant une vie sexuelle très libre avec des partenaires aussi bien masculins que féminins. L’ouvrage fait un scandale mais réalise un énorme succès de librairie.

De nouveaux modèles féminins apparaissent comme les Garçonnes, la silhouette de la femme change. Sous l’impulsion de Coco Chanel, les robes raccourcissent, les cheveux aussi, les corsets disparaissent au profit de tenues plus libres et plus confortables.

Les femmes participent aux compétitions sportives. Suzanne Lenglen (1899-1938) première star internationale du tennis féminin se distingue également en devenant la première joueuse à porter des jupes plissées, courtes au-dessus des genoux.

De nouvelles stars comme Joséphine Baker (1906-1975) ou Suzy Solidor (1900-1983) brillent dans le monde du spectacle.

Jacqueline Marval représente la femme en maillot de bain, Sonia Delaunay lui dessine un maillot en larges bandes de couleurs vives.

Jacqueline Marval (1866-1932) la Baigneuse en maillot noir (1923) Huile sur toile

La seule création de Sonia Delaunay (1885-1979) présentée dans cette l’exposition est ce vêtement de bain, créé vers 1928, haut en bayadère multicolore, imprimé sur crêpe de Chine, soie doublée d’un tissu uni blanc, bas en jersey de laine uni rouge.

Les activités en plein air et l’héliothérapie se développent. Joséphine Baker incarne cette « nouvelle Ève » noire, artiste de music-hall au corps libéré, lancé frénétiquement dans la danse, elle joue au golf, ouvre un cabaret restaurant, fonde un magazine, profitant de l’engouement qu’elle suscite, elle développe même des produits dérivés (Tube de brillantine Baker- fix, filet à cheveux…).

   

Alessandra Belcova (1892-1981) La Joueuse de tennis (1927)      Suzanne Valadon (1865-1938) artiste peintre française « la chambre bleue »

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S. Valadon : Femme aux bas blancs (1924) Huile sur toile        Produits de la marque Baker (Joséphine)                                                                        

Une nouvelle salle nommée : Chez soi sans fard

Les femmes se représentent chez elles sans le regard du désir masculin : « chez soi sans fard ». Ces odalisques modernes se représentent dans leurs intérieurs avec naturalisme. La maternité n’est plus idéalisée, elle peut être ennuyeuse et fatigante.

Maria Blanchard (1881-1932) artiste peintre espagnole.

   

La toilette (1924) Huile sur toile                                       La maternité (1922) Huile sur toile

Mela Muter (1876-1967) artiste peintre polonaise.

La famille gitane (vers 1939) Huile sur toile

Chana Orloff (1888-1968) sculptrice française d’origine ukrainienne.

Maternité couchée (1923) bronze                                    Moi et mon fils (1927) bronze

Tamara de Lempicka (1898-1980) peintre polonaise

Mère et son enfant (1932) Huile sur contreplaqué

Quelques pas vers un nouvel espace : Représenter son corps autrement

Nombreuses sont les artistes de l’époque à chercher un autre mode de représentation du corps féminin et n’hésitent pas à se montrer dans leur intimité, avec un certain réalisme. La particularité étant que ces tableaux de nus féminins sont réalisés par des femmes. Nous retrouvons trois artistes déjà présentées et sélectionnées parmi d’autres.

       

Mela Muter : Nu cubiste (1919-1923) Huile sur toile   Jacqueline Marval : L’étrange femme (1920) Huile sur toile


 Marie Vassilieff : Nu aux deux masques (1930) Huile sur toile marouflée

Les deux amies : Une salle entièrement dédiée à Tamara de Lempicka (1898-1980), peintre polonaise qui revendique un regard érotique sur le désir des femmes pour des femmes. Elle vit ouvertement l’amour avec des femmes et des hommes. Elle peint l’érotisme et prend comme amante et modèle Suzy Solidor, une icône lesbienne célèbre pour ses chansons saphiques qui tient un cabaret à la fin des années 1920.

Suzy Solidor (1935) affiche de l’exposition               Perspectives ou les deux amies (1923) Huile sur toile

Nous nous dirigeons vers une salle consacrée au troisième genre, un thème qui résonne aujourd’hui.

Dans les années 1920, les termes de « queer » et LGBTQI+ n’existent pas encore, pour autant il est déjà question d’un troisième genre.

« Masculin ? Féminin ? Mais ça dépend des cas. Neutre est seul genre qui me convienne toujours » Claude Cahun (1984-1954) plasticienne photographe. L’exposition aborde aussi la transition d’un genre à l’autre, à travers l’exemple du couple Wegener. Gerda Wegener (1886-1940), artiste danoise a accompagné son mari devenu Lili Elbe dans sa transition de genre, du masculin au féminin. Elle l’a beaucoup représenté en peinture et s’est battue contre les discriminations de genre.

Deux cocottes avec chapeaux (1920) Huile sur toile Lili avec un éventail à plumes (1920) Huile sur toile

Lilli avec un éventail à plumes (1920) Huile sur toile

Lili déguisée en « Chevalier à la rose » (1921) Huile sur toile

L’exposition se termine avec le thème : Pionnières de la diversité

Bien que ce concept n’existe pas à l’époque, c’est le sujet de la diversité qui est abordé dans la dernière salle de l’exposition.

On quitte la capitale des lumières pour une dédicace aux femmes du monde qui ont peint « l’Ailleurs », à une époque encore marquée par le colonialisme.

La plasticienne hungaro-indienne Amrita Sher-Gil (1913-1941) propose une représentation réaliste et non fantasmée des femmes du lointain, comme son autoportrait en tahitienne (1934), référence à Gauguin.

La Brésilienne Tarsila Do Amaral (1886-1973) invite au rêve et à l’imaginaire par des compositions hyper colorées telles la famille (1925) et ses paysages. Avec une large palette de couleurs, elle représente les différentes catégories de métissages des Brésiliens.

Deux artistes françaises sont également exposées dans cette salle :

Lucie Cousturier (1876-1925) artiste peinte, écrivaine essayiste et militante anticolonialiste.

    Homme noir écrivant

Anna Quinquaud (1890-1984) sculptrice

  Homme Peul

Elles ont beaucoup voyagé en Afrique et offrent une représentation non stéréotypée du peuple africain à travers leurs œuvres et écrits.

L’exposition se termine avec le grand tableau American Picnic (1918) de Juliette Roche (1884-1980) peintre et écrivaine française.

Elle nous propose un déjeuner sur l’herbe moderne et ethnique. Autour d’un trio de femmes nues de couleur différente, des personnages androgynes aux corps orange esquissent une chorégraphie, leurs silhouettes évoquant « La Danse » de Matisse.

C’est une exposition très dense et riche, bel hommage à ces pionnières certaines mondialement connues d’autres tombées dans l’oubli qui retrouvent ainsi leur place dans l’histoire de l’art.

Texte & photos : Joëlle Egret

 

 

 

 

 

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