Exposition Oskar Kokoschka, un fauve à Vienne – Vendredi 13 janvier 2023

Vingt amicafiens attendent, devant les portes du MAM, Odile Déchelotte qui nous accompagnera dans cette exposition.

Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris présente depuis le 22 septembre 2022 près de cent cinquante œuvres d’Oskar Kokoschka, principalement de la peinture, même si l’artiste était aussi poète et dramaturge. Nous allons découvrir une œuvre assez déstabilisante, à la fois singulière et multiple, au croisement d’influences très différentes comme l’expressionnisme, l’abstraction et la nouvelle objectivité, des petits formats, de très grands, du flou, du net, des couleurs dans tous les sens, du léger, de l’empâté, des portraits, des paysages, des allégories, des animaux. L’accrochage est très réussi, les tableaux sont parfois seuls sur leur pan de mur, ce qui permet de les observer en changeant d’angle car selon qu’on est loin, de côté ou près, on ne voit pas du tout la même chose. Certains murs par ailleurs sont entièrement noirs pour reproduire la couleur de son atelier. L’ordre des œuvres est chronologique « tout simplement ». Le musée revient sur près de 70 ans de création, sept décennies décisives durant lesquelles Oskar Kokoschka est témoin de tous les bouleversements artistiques, politiques et intellectuels de son temps.

Odile Déchelotte commence cette visite devant le portrait de l’acteur Ernest Reinhold, ami de Kokoschka et personnage principal de la pièce à scandale intitulée « L’Assassin, Espoir des Femmes ».


Elle nous relate la vie d’Oskar Kokoschka, né à Vienne en 1886, très vite considéré comme un artiste radical et à part, soutenu entre autres par Klimt et Schiele. Il a été, brièvement, l’amant d’Alma Mahler, a participé à la première guerre mondiale au cours de laquelle il a été grièvement blessé, a fui le régime nazi qui en a fait un des représentants de lart dit “dégénéré”, s’est engagé dans la résistance contre le fascisme, puis s’est installé en Suisse où il a continué à peindre, très concerné dans l’œuvre et la pensée par le projet de construction européenne jusqu’à sa mort en 1980 à l’âge de 94 ans.

Mon choix vise à ne pas suivre l’ordre chronologique proposé par l’exposition au fil des années et des lieux :  un enfant terrible à Vienne (1904-1916) – les années de Dresde (1916-1923) – voyage et séjour à Paris (1923-1934) – résistance à Prague (1934-1935) – exil en Angleterre (1938-1946) – un artiste européen en Suisse (1946-1980). Je choisis de décrire les tableaux qui m’ont le plus attirée ou au contraire dérangée.

Ma préférence va donc vers les portraits. Dans ceux-ci, les mains jouent un rôle essentiel. La main fonctionne comme un aimant. Notre conférencière nous expliquera devant chaque portrait ce que les mains évoquent.

« Le Joueur de transe » représentant l’acteur Ernest Reinhold, daté de 1909, un ami de l’artiste. On est subjugué par deux traits majeurs de ce portrait : les yeux et les mains qui se font résonance. La taille des mains est inédite et à quatre doigts. L’artiste explore ici l’aspect psychologique du sujet qui prend le dessus sur la réalité. Cette œuvre fera partie des œuvres saisies des collections allemandes en 1937.

« Le portrait d’Auguste Forel » daté de 1910, on ne peut manquer à nouveau l’expression des mains et du regard. La posture et les mains quasi torturées, dans un sens d’introspection intellectuelle, mises en avant, semblent exprimer tout l’intellect de ce célèbre psychiatre et scientifique suisse. Le psychiatre refusera l’œuvre, jugeant que ce tableau relevait plus « du domaine de la psychiatrie qu’à celui de l’art ».

Un autre tableau étonnant est celui du Père Hirsch daté de 1909. Là encore, le caractère est mis en avant : on observe la position des mains, orientées vers l’intérieur, un côté réducteur, en résonance avec un regard cupide et des dents dévoilées. Moritz Hirsch était un riche homme d’affaires hongrois décrit comme un homme têtu et colérique. Si l’art du portrait dissimule traditionnellement les dents, Kokoshka les dévoile ouvertement, on ne voit que cela… Il sera d’ailleurs accusé par le public de caricaturer ses modèles. Ce tableau sera également confisqué en 1937 et présentée lors de l’exposition d’art dégénéré en 1937.

Dans ce portrait de Hans et Erica Tietze, daté de 1909, les mains sont encore mises en exergue, expression de la complicité du couple. Celles d’Hans, dans une douceur et une détermination intime, se rapprochent de celles d’Erica figurée une main sur le cœur et une main réceptive à la main complice de son époux qui lui est tendue.
Kokoschka a réalisé ce tableau sans faire poser le couple ensemble, comme si chaque fragment de l’un et l’autre s’imbriquait. Hans et Erica Tietze était un couple d’historiens et critiques d’art, grands défenseurs de l’art de Kokoschka.

Une approche plus classique est celle du portrait de Max Schmidt, là encore, le visage et les mains se répondent exprimant un personnage intellectuel posé. « Le gestionnaire » tableau de 1910, témoigne du caractère du personnage, les yeux baissés, dans un calme absolu, posé, rassurant comme le serait un bon gestionnaire, la main posée sur son torse, un sourire bienveillant.

Du portrait de Ferdinand Bloch-Bauer (1936), fabricant de sucre austro-tchèque, amateur d’art, époux d’Adèle Bauer qui devient la muse de son ami, Gustav Klimt, se dégage une grande tendresse malgré le fusil posé sur ses cuisses.

Dans le portrait d’Herwarth Walden, la posture des mains est encore importante : un air d’intellectuel affiché, grand front, lunettes sur le nez, un air d’introspection, la main sur la hanche prouvant une certaine assurance de soi. Ce portrait a été peint durant la préparation de la création de la revue Der Sturm. Der Sturm est un magazine sur l’expressionnisme fondé à Berlin en 1910, doublé d’une galerie d’exposition homonyme où furent présentés la plupart des acteurs internationaux de l’art moderne.

Les mains comme symbole d’engagement dans ce tableau daté de 1926 représentant Leo Kestenberg, chef d’orchestre qui a les poings fermés, dans une pose frontale, suggérant son engagement politique, impliqué dans les activités du mouvement social-démocrate dès 1918.

Dans ce parcours, on trouve la section consacrée à la “poupée” que je dirais dérangeante. Après une rupture douloureuse avec Alma Mahler, Kokoschka demande à une amie Hermine Moos, costumière de théâtre, de lui réaliser une poupée à l’effigie de son ex. Il réalise de nombreux portraits de cette poupée et se promène même avec elle. La légende veut que lors d’une soirée très arrosée, il amène ladite poupée au milieu des convives. Celle-ci finit à la fin de la soirée au fond du jardin décapitée et couverte de vin. La police viendra vérifier s’il s’agissait d’un cadavre.

   

Dans tous les portraits, et notamment féminins, apparaissent les traces d’un élan à la fois amoureux et sauvage. La « sauvagerie » est d’ailleurs un des qualificatifs que la critique a beaucoup utilisé de son temps pour décrire Kokoschka, jusqu’au classement par les Nazis dans la catégorie “dégénérée” ; en même temps, c’est une caractéristique que l’artiste lui-même n’a cessé de retourner et de brandir.

L’historien d’art Carl Georg Heise demande à Oskar Kokoschka de tirer le portrait de son compagnon Hans Mardesteig. L’artiste choisira de les peindre ensemble à la façon d’un diptyque flamand. L’intensité expressive du tableau est traduite par les touches nerveuses du pinceau et les couleurs vives et épaisses. L’introverti Mardesteig à gauche est rendu dans un bleu rêveur avec des accents jaunes pour symboliser sa lueur intérieure. L’extraverti Heise est représenté par un vert vif.

Ce double portrait d’enfants daté de 1911, porte un regard nouveau sur l’enfance où cohabitent tendresse et agressivité. Les enfants sont représentés dans une apparente entente, la main de la petite fille est représentée poing fermé, refusant la main tendue de son frère. Représentation inhabituelle d’enfants pour l’époque, ce tableau est lacéré par un visiteur en 1924 à Vienne, il est classé « dégénéré ».

Ce tableau « le Marabout de Temacine » (1928) incarne sagesse et sérénité, les mains avec les paumes ouvertes en sont l’illustration.

Avant de quitter les portraits, voici deux pépites : un éventail très original et une affiche pour un vin.

Pour clôturer ce chapitre sur les portraits, on peut dire que Kokoschka est reconnu comme le peintre de l’âme qui s’est intéressé, avant tout, aux visages.

Mais, Kokoschka a aussi peint des paysages et des animaux.

Les Dolomites

Londres et la Tamise.

 Les chevreuils

L’artiste peint des animaux depuis longtemps et a réalisé pour la Wiener Werkstätte des cartes postales composées de cerfs, lapins, agneaux ou chauve-souris. Il a peint dans ce tableau un groupe de chevreuils aperçus furtivement dans Regent’s park pendant son séjour à Londres.

Trouvez les deux tortues.

Peint dans le plus vieux zoo de Londres, ce tableau représente un tigron, croisement entre un tigre et une lionne. La puissance des coups de pinceau évoque la férocité de l’animal. Oskar Kokoschka se sentait proche de ce fauve à la fois redoutable et prisonnier.

Certaines œuvres politiques nécessitent une explication comme l’œuf rouge daté de 1938 qu’Odile Déchelotte nous décrypte. Il représente Hitler, en haut à gauche, Mussolini en bas à droite, la France est représentée par le chat près du bonnet phrygien qui ne semble pas vouloir agir, Odile dira qu’il ronronne et la Grande Bretagne est symbolisée par un lion couronné qui détourne le regard. Les deux dictateurs se partagent le butin, l’œuf rouge, tandis que la ville de Prague brûle à l’arrière dans l’indifférence générale. Cette toile est une critique des accords de Munich qui ont permis l’invasion de la Tchécoslovaquie.

L’œuf rouge (1938)

Autre décryptage – A l’aube de la seconde guerre mondiale, il dénonce le fascisme avec violence dans cet autre tableau allégorique, griffé à grands traits et de couleurs vives. Une femme nue se dresse au milieu de cette scène de guerre, elle pointe vers le « spectateur » un doigt interrogateur, sa candeur et sa pureté contrastent avec l’horreur qui l’entoure. Elle incarne l’Autriche, prisonnière d’un monde aux forces inextricables comme Alice, le personnage de Lewis Carroll. Kokoschka dénonce l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne et le comportement hésitant des puissances européennes : France et Angleterre, attitude illustrée par un homme d’affaires, un soldat, un prêtre qui, affolés, se couvrent les yeux, la bouche et les oreilles à la manière des trois singes de la sagesse.

Anschluss – Alice au pays des merveilles (1942)

Exposition très dense de presque deux heures, nous sommes quelque peu fatigués. Le groupe se sépare, certaines d’entre nous irons déjeuner au restaurant du musée « Le Forest », d’autres regagnent leurs pénates…

Texte : Jocelyne Poulizac – Photos : Christiane Bruneau et Jocelyne Poulizac

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