Exposition « sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d’or »- mardi 28 février 2023

Le nombre important d’inscriptions à cette exposition a conduit la commission Sorties à organiser une seconde visite : 20 personnes, le matin et 19, l’après-midi. Certaines se sont croisées, non pas au cours de la visite compte tenu des horaires différents mais dans les brasseries et restaurants avoisinants.

Quant au groupe de l’après-midi, dans sa grande majorité, les participants ont déjeuné à la cafétéria de l’Institut du Monde Arabe pour mieux plonger dans l’orientalisme en dégustant un excellent couscous.

En préambule, Odile Déchelotte, notre conférencière, à l’aide d’une carte nous présente l’Ouzbékistan dans le contexte géopolitique de l’ Asie centrale. Le pays a fait partie de plusieurs grands empires : Perse, Grec ou encore Mongol, lui forgeant son identité si singulière. Terre de métissage culturel, l’Ouzbékistan est également situé sur la route de la soie, ce qui lui permet dès le XIVe siècle de connaître un fort développement économique.

1er groupe                                                                                               2e groupe 

Influent dans le textile, le pays exporte ses tissus brodés d’or, de motifs colorés et ses orfèvreries. Les élites profitent de cet essor pour renforcer leur prestige. Ils revêtent de riches tuniques codifiées en fonction de leur statut, de leur sexe et de leur âge. Les villes de Samarcande et de Boukhara, situées toutes deux sur la route de la soie, sont le reflet de la richesse économique mais aussi culturelle du pays.

Lorsque le pays est conquis par la Russie au milieu du XIXe siècle, la richesse culturelle de ses populations en fait une destination de prédilection pour l’élite russe. Les artistes viendront y chercher l’inspiration. L’architecture, les portraits ou encore les paysages envahissent la peinture de l’Avant-garde russe. L’histoire de l’Ouzbékistan rentre à jamais dans les collections d’art et dans l’Histoire.

L’exposition regroupe près de 300 pièces du XIXe siècle exposées sur 10 000 m2 qui ont été sorties pour la première fois des musées du pays. Elle se compose surtout de somptueux manteaux appelés chapans, de suzanis, grandes pièces de tissu brodés de fils de soie, de tapis, d’ikats, de selles et d’harnachements de chevaux, de bijoux et de tableaux.

La scénographie est très épurée, la lumière tamisée nous surprend, même si l’on comprend la nécessité de protéger les tissus de la lumière, et nos yeux ont bien du mal à s’adapter à cette pénombre.

Dans la première partie de l’exposition, on se retrouve face à des dizaines de tuniques, toutes plus travaillées les unes que les autres. De l’or, de la soie, des pierres précieuses, des velours et des lainages, le travail des ouvriers s’apparente parfois à celui d’orfèvres… Nous sommes saisies par la précision, le sens du détail et l’harmonie de chaque pièce, sans véritablement penser à la lourdeur de ces tissus brodés, Odile précise que ces pièces peuvent peser jusqu’à dix kilos.

C’est durant le régime de l’émir de Boukhara, Muzaffar-Ed-Din que l’art de la broderie d’or atteint son apogée. Différents styles, selon les régions et les époques se succèderont :

– le style buttador avec de larges fleurs, des rosettes, des amandes de différentes tailles

– le style daukhor avec des bordures à l’extrémité des manches, autour du cou et en bas

– le style darkham porté uniquement par l’Emir et ses proches.

Chapans pour enfants de style « buttador » et « daukhor », or, argent, soie et coton, Boukhara, 1905-1915

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1 – Chapans de l’émir Nasrullah Khan de style « buttador », velours, broderie, or et soie, Boukhara, fin XIXe

2 – Chapan de style darkham – fin XIXe, début XXe siècle – Boukhara

Le travail de broderie d’or est réalisé uniquement par des hommes, car la tradition veut que l’or « ternît des mains et du souffle d’une femme »…. et dans le palais de l’Emir et sous ses ordres.

Autre pièce du vêtement, portées par tout le monde, exceptées les femmes âgées qui portent un foulard, les calottes ou doppi sont exposées jusqu’au plafond.

                                                                                                                                     Calotte vue d’en haut, velours, broderie, or, soie      

Lié aux conquêtes de territoire et au développement du commerce et seul moyen de déplacement, le cheval fait partie intégrante du mode de vie et de l’identité ouzbèkes. Un soin extrême est porté à ces chevaux, en témoigne l’apparat qui leur est destiné. C’est un attirail riche et luxueux constitué de tapis de croupes en velours brodés d’or, de selles en bois peintes à la main avec des teintures naturelles, de tapis de selles complétés par des harnachements, des bijoux en argent sertis de turquoise, de cornaline et d’émail. En bref, le cheval est la prolongation du cavalier et son équipement se doit d’être aussi raffiné.

          

                                   

Robes chemises, pantalons, camisoles (sous vêtement), chapeaux, chaussures, galoches, foulards… Le vestiaire féminin se compose de plusieurs pièces à lacoupe unique, mais c’est à la qualité du tissu qu’on distingue les classes sociales et aux couleurs qu’on devine le statut matrimonial de la femme. L’intégralité du costume féminin est dissimulée dans l’espace public par un parandja (long manteau) qui recouvre la tête et le corps.

Côté intérieur, Odile, notre conférencière nous présente les suzanis (que l’on prononce souzanis et qui signifient “faits à l’aiguille” en persan), grandes pièces de tissus brodées de fils de soie, destinées à la dot de la mariée (leur confection commence à la naissance). Elles servent également aux décorations murales et de couvertures de lits, taies d’oreillers ou rideaux. Le nombre et la qualité des suzanis à l’intérieur d’un foyer dépendent du statut social de la famille.

Suzani « bolinpush » (pièce de tissu), coton, fil de soie colorés, Samarcande, 1885-87

 

Au-delà de l’aspect décoratif et fonctionnel, le tapis est coloré et symbolique. Les tisseuses s’assurent, avec un choix précis de motifs, la protection de la maisonnée en s’appuyant sur une symbolique ancestrale transmise de génération en génération.  

Tapis de feutre

 

La visite se termine à l’étage inférieur avec un mur entier de manteaux en ikat très colorés suspendus dans les airs. Leurs couleurs sont magnifiques et je crois que chacune d’entre nous aurait envie d’en porter un, tant il parait moderne même au XXIe siècle !!!

L’ikat est un procédé de teinture et de tissage dans lequel le dessin est créé en teignant d’abord le fil de trame ou le fil de chaine (les maitres ouzbèkes ne teignent que le fil de chaine, procédé qui peut durer des mois) de toutes les couleurs qui vont y figurer, à des intervalles bien précis, de sorte qu’au moment du tissage, les éléments se créent par juxtaposition.

Pendentif de nombril

 

A côté dans d’autres vitrines, nous admirons une galerie de bijoux. Chez les Ouzbèkes, le bijou complète le costume traditionnel de la femme et indique l’âge, le statut socio-économique et matrimonial de celle qui le porte. Chaque ensemble se compose de plusieurs pièces, pesant fort lourd : diadème frontal, temporal, pectoral, collier, bracelets, boucles d’oreilles, bagues et anneaux de nez parfois. Les bijoux sont essentiellement composés de coraline, turquoise, argent et point d’or.

Nous nous attardons devant un pendentif de nombril, Odile nous rassure, il ne s’agit pas d’un piercing de nombril mais un symbole de maternité.  Ce pendentif de ceinture « onirmonshaq » est porté au-dessus du nombril et constitue un élément essentiel de la parure de la mariée.

Nous pouvons encore admirer d’autres parandjas exposés sur des estrades au centre de la salle.

Enfin, une grande partie de cette salle accueille la peinture orientaliste, vingt tableaux de l’avant-garde russe.  Au moment où Matisse découvre le Maroc, des peintres russes sont à la recherche de la couleur locale et trouvent au Turkestan, l’actuelle République d’Ouzbékistan, des couleurs, des formes et des paysages qui les ravissent. Alexandre Volkov, né à Tachkent, prend la tête d’une école ouzbèke. On retrouve tout cet orientalisme dans les œuvres de Mikhail Kurzin, Ural Transykbaer, Nilolaï Karakhan, Elena Korovay, et Zinaida Kovalevskaya. Ces tableaux proviennent de la collection d’Igor Savistsky.

 deux Emirs

Cette exposition est une véritable surprise car nous connaissions plutôt l’Ouzbékistan pour son architecture ; notre déambulation dans les différentes salles a réussi à travers les vêtements à nous montrer toute la richesse de cette culture. Même si les collections peuvent sembler monotones voire répétitives, nous avons fait un voyage étonnant dans cette culture méconnue.

Avis aux amateurs de tissus brodés (je pense aux « brodeuses de l’AMICAF » qui ne nous avaient pas rejointes) et de tapis, c’est l’exposition qu’il faut voir.

Pour terminer l’après-midi, les participants du second groupe ont pris ensemble le pot de l’amitié.

 

Texte : Jocelyne Poulizac – Photos : Christiane Bruneau, Jacqueline Cosson & Jocelyne Poulizac

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