Visite de l’hôtel Gaillard, un palais médiéval dans la plaine Monceau – vendredi 9 juin 2023

En attendant les derniers inscrits, retardés par des perturbations sur le RER, à l’ombre d’un marronnier, nous admirons la façade de cet hôtel particulier unique en son genre dans ce quartier de la plaine Monceau.

Sur les murs de briques rouges à croisillons de briques noires sont percées de grandes fenêtres imitant des meneaux. Le décor de la porte est de style gothique : un arc en accolade est sculpté au-dessus de l’arcade en anse de panier. Les toitures sont remarquables avec une balustrade également gothique, des lucarnes surmontées de pinacles et monogrammées avec un G (pour Gaillard). Sur la façade principale, on peut voir deux marmousets sculptés : l’un porte une bourse et symbolise le banquier Emile Gaillard ; l’autre porte une équerre et symbolise l’architecte Jules Février.

Nous entrons dans l’hôtel avec Vincent Delaveau au créneau horaire réservé à notre groupe avec fouille obligatoire des sacs et passage sous le portique électronique. Avant de gravir le monumental escalier d’honneur, notre conférencier nous raconte la vie d’Emile Gaillard et les trois vies de l’édifice.

Emile Gaillard (1821-1902) dont le grand-père est propriétaire d’une grande banque à Grenoble, le nomme représentant à Paris. Il gère entre autres, les biens du Comte de Chambord, participe aussi au financement de chemins de fer et fréquente la noblesse parisienne .

Il a une passion pour le Moyen-Age et la Renaissance et c’est pour abriter sa somptueuse collection qu’ il souhaite construire un hôtel dans un style inspiré de la Renaissance française et dans ce quartier de la plaine Monceau qui a attiré de nombreux artistes comme Manet, Puvis de Chavanne, Sarah Bernhardt, Debussy, Dumas, Rostand et des familles bourgeoises telles que Breguet, Peugeot, Michelin, Haviland. Il en confie la réalisation à l’architecte Jules Février. Ce dernier s’inspire du château de Blois et obtient même l’autorisation de faire des moulages de certains éléments. Il se verra décerner une médaille d’or à l’exposition universelle de 1889 pour cette réalisation.

C’est la première vie du palais celle de la demeure d’un banquier.

Après le décès d’Emile Gaillard en 1902, les héritiers mettent en vente l’hôtel ainsi que la collection de tableaux. La Banque de France qui souhaite ouvrir une succursale dans ce quartier huppé l’achète en 1919. L’architecte de la Banque de France, Alphonse Defrasse afin d’installer les activités bancaires réalise des aménagements dans le strict respect des lieux. L’architecte Jules Février écrira à ce dernier : « non seulement, vous n’avez pas détruit mon œuvre mais vous l’avez complétée ».

C’est la seconde vie de l’hôtel Gaillard celle de la demeure d’un banquier devenue banque.

La fermeture de la succursale Malesherbes (définitive en 2006) va susciter de nombreuses craintes et afin d’éviter la destruction du bâtiment, une association pour la défense de l’hôtel Gaillard se crée pour obtenir son classement. Son action convainc l’Etat qui procède à son inscription au titre des monuments historiques en 1999. Après de multiples tractations auprès de nombreux organismes dont la Ville de Paris, c’est finalement la Banque de France qui investit, au titre du mécénat, dans la transformation de l’hôtel Gaillard en Cité de l’Economie, convaincue qu’un citoyen éclairé en matière économique est plus à l’aise avec le monde qui l’entoure.

C’est la troisième vie de l’hôtel Gaillard, la banque devient musée de l’Economie.

Vincent Delaveau nous propose de commencer la visite par le parcours patrimonial qu’il émaillera de commentaires économiques. Nous empruntons donc ce monumental escalier d’honneur à double volée.

Il est le centre névralgique de l’hôtel autour duquel les espaces sont organisés. Il va nous permettre d’entrer dans la salle à manger.

L’ancienne salle à manger des Gaillard est la pièce restée le plus dans son « jus ». Les boiseries de la salle viennent du château d’Issogne dans le Val d’Aoste.

A partir de cette salle, nous pénétrerons dans les appartements privés de la famille notamment la plus grande chambre, celle d’Emile Gaillard. La cheminée se compose d’un assemblage d’éléments datant à la fois du 15 et 16e siècle.

Dans le foyer, une plaque – le contrecœur – datée de 1562 illustre la parabole du festin du mauvais riche dite la parabole de Lazare. Dans les années 1920, la chambre devient le bureau du directeur de la succursale. Un cabinet de toilette est aménagé dans la pièce suivante pour son usage privé.

En sortant, nous passons devant des objets étranges, une sculpture étonnante, représentant une vache, une grosse pierre trouée en son centre ayant servi de monnaie d’échange pour l’acquisition d’un champ.

 

La chambre suivante est aussi devenue le bureau du contrôleur à l’époque de la succursale. Porte et cheminée en bois datent du XVIe siècle dans le style de l’école Fontainebleau.

Dans cette salle, nous observons également une étrange composition regroupant les différentes monnaies d’échange au cours des âges.

Nous passons ensuite dans le petit et le grand salon. Vidés de tous leurs meubles et objets d’art, ils conservent des éléments décoratifs de premier plan. La grande porte à deux vantaux qui ouvre le petit salon sur le palier est un assemblage d’éléments modernes et du XVIe siècle.

La pièce majeure du grand salon est la cheminée en pierre ornée de pleurants inspirée de l’art bourguignon comme à Dijon. Cette cheminée est encadrée par deux portes en bois sculpté, à gauche Saint Georges combattant le dragon et à droite, Sainte Geneviève portant un livre et un cierge qu’un ange allume et qu’un diable tente d’éteindre – pour l’anecdote, nous n’avons pas manqué de railler « notre Geneviève ».

 

Vincent Delaveau nous indique que c’est dans ce grand salon qu’eut lieu la réception donnée par Emile Gaillard pour les débuts en société de sa fille Antoinette-Jeanne, le 10 mars 1885. Elle marquait également l’inauguration publique de l’hôtel achevé trois ans auparavant.

2 000 invités, vêtus de costumes Henri II et Charles IX conformément au souhait d’Emile Gaillard sont venus assister à cette fête insolite qui fit grand bruit à Paris.

L’antichambre et le couloir sont harmonisés par un très beau plafond à la française du XIXe siècle. A l’époque d’Emile Gaillard, c’était une pièce de transition entre le grand salon et la galerie des tableaux aujourd’hui disparue. Elle donne accès au cabinet de travail du propriétaire qu’il appelait fumoir.

En fin de parcours, nous nous trouvons devant le bel escalier du puits, escalier à vis en pierre qui dessert les trois étages de cette partie de l’hôtel Gaillard jusqu’au rez-de-chaussée. Un trépied de ferronnerie orne le sommet du tronc central et une poulie comme sur n’importe quel puits. Vincent Delaveau nous promet une surprise au bas de l’escalier. En effet, au bout de la rampe, nous nous attardons devant une sorte de chimère mêlant au portrait d’Emile Gaillard, un corps d’oiseau et des pattes munies de sabots.

Nous arrivons devant l’ancienne salle des coffres et le hall du public de la Banque de France, créations d’Alphonse Defrasse.

 

Nous franchissons de monumentales portes blindées mesurant environ 40 cm d’épaisseur. Cette salle de 800 m2 de superficie compte 112 armoires, 3 874 coffres (aucun ne porte le n°13). Puis, Vincent Delaveau nous décrit le dispositif de sécurité :

– le plancher du couloir menant à la salle coulissait sous le mur opposé déclenchant l’ouverture des portes, à l’inverse lorsque les portes se referment un vide infranchissable se crée,

– deux cloisons de ciment armé de 25 cm d’épaisseur séparés par 1,35 m de vide, un plafond en béton armé d’un mètre d’épaisseur pouvant supporter une charge de 4 tonnes par m2,

– des douves larges de 1,20 m et hautes de 5 m tout autour. Elles étaient directement reliées à l’égout et alimentées par un courant pour limiter la formation de vase sur les parois. Une nacelle de surveillance (que nous ne verrons qu’à la sortie) suspendue à un monorail permettait de faire le chemin de ronde au-dessus de l’eau. Comme le fait remarquer notre conférencier, ce véritable donjon est cependant un dispositif moderne, fait assez cocasse.

On y remarque des isoloirs en bois qui permettaient aux clients de prendre connaissance de leur contenu en toute discrétion.

A partir de cette salle, Vincent va nous parler finance et économie. Construite sur deux niveaux, elle sert aujourd’hui de lieu de conservation et d’exposition de trésors numismatiques. Toute l’histoire de la monnaie y est contée jusqu’aux billets de banque, de l’Antiquité à nos jours.

Dans les vitrines, nous admirons les pièces d’or, d’argent, de bronze, de nickel et de zinc. Nous nous attardons devant l’écu de Saint Louis et devant le premier billet chinois daté de la fin du XIVe siècle ou le premier billet européen ou encore le « Chateaubriand » ou le « Pascal ». Plus loin, dans une vitrine sécurisée, nous nous amusons à soupeser un lingot d’or.

Vincent Delaveau nous fait un cours d’économie devant les billets de John Law et les assignats de la Révolution française en nous rappelant que tout système d’échange est basé sur la confiance et sans cela c’est la banqueroute assurée !!!

Il évoque aussi la mécanisation de l’émission de monnaies et de billets devant deux machines qui faciliteront les opérations.

Fin de cette visite passionnante dans un édifice plein de surprises.

Contrairement aux habitudes, nous regagnons nos différents transports en commun car pas un troquet à l’horizon….

Texte : Jocelyne Poulizac