Goûter littéraire & artistique à la brasserie « Le Dôme » – Jeudi 18 janvier 2024

Il fait très froid mais fort heureusement le maitre d’hôtel nous invite à entrer dans la brasserie avant l’heure. Dès notre installation, nous comprenons que l’emplacement imparti à notre groupe de 36 participants sera insuffisant.

Six d’entre nous seront placées à l’écart et rencontreront des difficultés à suivre la conférence, les membres de la commission des sorties s’excusent auprès d’elles.

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

Dès que nous sommes tous assis, les serveurs déposent sur les tables l’énorme millefeuilles « Napoléon » qui s’avère d’une incro yable légèreté. Puis nous passons commande des boissons chaudes ou fraiches.

Véronique, notre conférencière déroule le « menu » de la conférence énonçant le thème des chapitres qu’elle abordera et illustrera avec des images d’époque « visibles ou non !!! » sur sa tablette.

La tradition des cafés

Dès la révolution, de nombreuses salles de danse et cabarets (bal Bullier) s’y installèrent dans le quartier est en friche, des cafés s’ouvrent car situés à l’extérieur des murs des Fermiers Généraux où aucune taxe sur les alcools n’est due. De plus, il offre aux artistes des ateliers à loyers modérés et des cafés bon marché ce qui facilite la sociabilité, l’émulation et l’entraide…

En 1853, avec les travaux du baron Haussmann, les maisons du boulevard du Montparnasse sont remplacées par des immeubles. Le nom a été donné par les étudiants voisins qui venaient déclamer des poèmes sur une butte formée par des gravats et des pierres issues des catacombes, en référence au Mont Parnasse, résidence des muses de la mythologie grecque. La colline fut en partie arasée pour tracer le boulevard.

A l’origine, le café du Dôme est un modeste bar-tabac de quartier. En 1898, Paul Chambon rachète le café qu’il transforme et la brasserie « Le Dôme » devient la référence du quartier. A partir des années 1900, le Dôme est le lieu de rassemblement de toute l’intelligencia internationale. La terrasse est pleine 24h/24 et de 5 à 7, on boit  l’absinthe « à l’heure de la verte ».

Les années folles, période de l’entre-deux guerres, sont la renaissance du Dôme, le propriétaire change la décoration : boiseries, vitraux, grands abat-jour et banquettes de cuir fauve ou vert, toujours en place.

La Bohème de Montparnasse

C’est d’abord le groupe formé par les poètes : Apollinaire « le copain, le fédérateur » précise notre conférencière, Max Jacob, les peintres : Gauguin, Matisse, le Douanier Rousseau, Picasso, Modigliani, Braque ou encore des musiciens : Debussy, Stravinski, Satie.

Guillaume Apollinaire                                                                   Modigliani et Picasso       Éric Satie 

Les académies privées

L’Académie Colarossi ou Académie de la Grande Chaumière  est une école d’art parisienne, fondée en 1870, par le sculpteur italien Filippo Colarossi  au 10 rue de la Grande-Chaumière. A la fois, école privée et atelier libre, elle constitue une alternative à l’École des beaux-arts de Paris, devenue trop conservatrice aux yeux de nombreux artistes.

L’ Académie Colarossi est mixte et autorise les étudiantes à peindre d’après des modèles masculins nus. Parmi les femmes les plus connues fréquentant l’académie, il y a Jeanne Hébuterne et Camille Claudel. Réputée également pour ses cours de sculpture d’après modèle, l’établissement attire nombre d’élèves étrangers, notamment américains, scandinaves et canadiens. En 1907, l’académie nomme sa première femme professeure, l’artiste néo-zélandaise Frances Hodgkins, confirmant ainsi son esprit progressiste.

L’école ferme dans les années 1930. Peu auparavant, Madame Colarossi avait brûlé les archives de l’institution, en guise de représailles contre son époux infidèle.

Les Russes

 

Valdimir Illitch Lénine                         Léon Trotsky 

Le quartier désormais fréquenté par la « Bohème », accueille les premiers arrivants russes fuyant les pogroms des pays de l’Est comme Zadkine, Soutine, Chagall, Pascin. Ils formeront la première école de Paris. Le Dôme est également connu pour être le café des politiques, Lénine et Trotski en font leur pied-à-terre.

Les anglo-américains

Henry Miller                                Ernest Hemingway     James Joyce      

Après la Grande Guerre, c’est près de deux cent cinquante artistes anglo-saxons qui adoptent Paris pour y vivre en totale indépendance. Ils sont écrivains, poètes, journalistes, éditeurs, libraires, directeurs de revues littéraires et plusieurs d’entre eux imprimeurs. Ils récusent la prohibition, le puritanisme pur et dur, la censure, le sexisme de leur pays. Ils viennent mener l’existence bohème de Montparnasse. Le change avantageux (cinquante francs pour un dollar) permet à certains de mener une vie facile, propre à la création de leurs œuvres. Ils en débattent à la librairie américaine Shakespeare and Company de Sylvia Beach, ou dans l’atelier de Gertrude Stein rue de Fleurus. Fitzgerald, Hemingway, D. H. Lawrence, Joyce, Miller, Pound, se croisent, sympathisent, se jalousent ou parfois s’entre-déchirent au sein de leur microcosme littéraire.

Man Ray                                         Hemingway*               Kiki de Montparnasse par Man Ray *                                            

Le Montparnasse de l’entre-deux-guerres, bien plus qu’un quartier, est un état d’esprit et Man Ray, venu à Paris tenter sa chance en 1921 avec, pour seul bagage, son appareil photo, en a sans doute été l’une des meilleures incarnations.
Armé de son appareil, il noue des liens privilégiés avec les dadas et les surréalistes, mais n’en fréquente pas moins les autres artistes : il devient le photographe de tous et passe ainsi au travers des querelles qui divisent le milieu. Il rencontre James Joyce, Picasso, Brancusi, Breton, mais aussi celle que l’on a surnommée « Kiki de Montparnasse », Lee Miller et les autres femmes de sa vie. Il est de toutes les virées, dans les cafés à la Rotonde, au Dôme, dans les salons de Gertrude Stein ou de Paul Poiret.

Les femmes de Montparnasse

C’est Kiki de Montparnasse, Alice Prin de son vrai nom, l’égérie du quartier. Elle pose pour Amedeo Modigliani et Tsugouharu Foujita dont le Nu couché à la toile de Jouy sera l’événement du Salon d’automne de 1922. Moïse Kisling l’a également peinte à de nombreuses reprises.

En 1921, elle devient la compagne et le modèle préféré de Man Ray qui trouve son physique « de la tête aux pieds, irréprochable ». Il la photographie notamment de dos, nue, il ajoute deux ouïes de violon et lui donne le titre « Le Violon d’Ingres ». Elle deviendra peintre à son tour, puis chanteuse pour devenir ensuite propriétaire d’un cabaret.

A l’instar de Kiki, égéries et muses sont les maitresses des poètes et des peintres, Eluard épouse Gala qui devient la maitresse de Max Ernst et qui sera la femme de Dali. Youki, de son nom de naissance Lucie Badoud est aussi une reine de Montparnasse, elle sera successivement l’amante de Foujita, puis celle de Desnos.

   Youki et Desnos

Autre figure du Montparnasse de l’après-guerre, Anaïs Nin, écrivaine. C’est Henry Miller qui l’introduit à la bohème parisienne. Leur relation est marquée par l’art et l’amour. Ils formeront même un triangle amoureux avec la femme de Miller, June. Elle aura également une aventure avec Antonin Artaud.

Anaïs Nin

Et enfin, Gertrude Stein, la collectionneuse de l’avant-garde. Elle arrive à Paris en 1904, rejoignant son frère Léo venu en 1903. Tous les deux sont collectionneurs : Gertrude défend l’art moderne, notamment les cubistes et Picasso alors que son frère reste plus traditionaliste. Elle devient l’une des grandes collectionneuses de la jeune génération de l’École de Paris. L’achat de Femme au chapeau de Matisse par Léo en 1905 est considéré comme l’acte fondateur de la collection Stein. Il récidive en achetant Le Bonheur de vivre du même Matisse en 1906. Entre 1905 et 1920, près de 600 tableaux vont passer entre leurs mains. Son appartement du 27 rue de Fleurus (proche du Dôme) devient un lieu de rencontre pour l’avant-garde du monde entier. Elle reçoit avec son frère tous les samedis à 21 h. Le Tout-Paris artistique s’y presse tout comme les étrangers de passage et surtout les Américains.

Gertrude Stein

Le Dôme stimule « la plume » d’un cercle croissant d’écrivains et son nom apparait dans de nombreux ouvrages : l’invitée de Simone de Beauvoir, Le Tropique du Cancer de Henry Miller, L’Age de raison de Jean-Paul Sartre : « Simone prend son petit déjeuner au Dôme »

Jean Giraudoux, dans Siegfried ou le Limousin (1922) en fait un récit pittoresque : « À l’angle du boulevard Raspail et du boulevard du Montparnasse, à la terrasse d’un café, au milieu de laquelle, parmi les tables débouchait la sortie du métro, était installé tout ce que Paris compte de Japonais expressionnistes, de Suédois cubistes, d’Islandais graveurs, de Turcs médaillés, de Hongrois et de Péruviens à vocations complémentaires, chacun agrémenté d’une demi-épouse à maquillage individuel et dont aucune n’employait les mêmes couleurs pour les yeux ou les lèvres, chacun dans l’accoutrement qui le faisait passer pour fou dans sa ville natale, mais qui représentait dans ce quartier, et pour la concierge elle-même, le minimum de l’extravagant. »

L’esprit de Montparnasse vibre encore aujourd’hui en certains lieux comme la mythique librairie Tschann ou l’académie de la Grande Chaumière.

Au terme de la conférence, force est de constater que les réactions du groupe sont divergentes, une large majorité aurait souhaité des commentaires plus élaborés, plus sobres, tandis que d’autres ont apprécié le côté « show » de l’exercice, émaillé de nombreuses anecdotes.

Nous nous séparons avec des impressions tout à fait différentes.

Texte : Jocelyne Poulizac – Photos : Christiane Bruneau & Jocelyne Poulizac