Visite du quartier Dupleix, autour de l’église Saint Léon – Jeudi 9 novembre 2023

La pluie menace mais nous partons tout de même à la découverte de ce quartier, que la plupart des 23 participants ont arpenté pendant des décennies,  et que l’on croyait bien connaitre. Vincent Delaveau nous fera cependant découvrir de véritables pépites architecturales.

Nous arrivons rue Desaix. La pluie est de plus en plus forte, Vincent nous conseille de nous abriter sous l’auvent d’un immeuble, côté impair de la rue Desaix pour admirer une série d’immeubles particulièrement intéressants et écouter ses commentaires.

Tout d’abord, qui est Desaix ? (ne pas prononcer le X) Louis, Charles, Antoine Desaix est un général français mort au combat à Marengo. Il s’est illustré lors des guerres révolutionnaires et sous les ordres de Bonaparte, notamment en Egypte et en Italie.

André Granet, architecte réalise entre 1931 et 1932 sur des parcelles semblables, plusieurs immeubles de rapport dans cette rue, à savoir tous ceux allant du n° 30 au n° 38 , ainsi que le n° 29 sur le trottoir impair, soit 6 immeubles au total. Ils sont homogènes sur le plan architectural, bien que Granet ait réussi à en briser la monotonie.

Parmi ces immeubles,  le 36 intrigue par la décoration sculptée de son premier étage : un véritable rébus. On y voit les deux bustes d’un couple, sans doute des époux : leurs regards sont tournés l’un vers l’autre et ils s’adressent des sourires un peu grimaçants. Leurs traits sont nettement caractérisés, au point, chez l’homme,  de frôler la caricature (oreilles de démon, nez aquilin, yeux plissés, front large et menton proéminent, long cou de la femme orné d’un collier, au menton et au nez assez marqués et proéminents). A droite de l’homme, on voit un sac sur lequel sont gravés les mots : “Viator ad aerarium”. A gauche de la femme, se trouve suspendue une tortue dont la tête est aspirée par un petit chapiteau en forme de bouquet de plumes.

 

 

Ledit sac est une reproduction fidèle de ceux utilisés, dans l’Empire romain, par les agents du trésor lorsqu’ils effectuaient des transferts de fonds. L’ Aerarium désignait  le trésor public, placé dans le temple de Saturne. Ce lieu servait de dépôt des archives, on y déposait aussi les comptes des magistrats, les registres du cens, les textes de lois, les enseignes militaires, etc.

Mais pourquoi la façade d’un immeuble parisien porterait-elle cet hommage érudit aux agents du fisc ? Le mystère reste entier au 36 rue Desaix…

Incontestablement, le plus réussi est sans doute le n° 30 avec ses courbes harmonieuses, son décor élégant et léger, ses ferronneries soignées. Cet ensemble est à double face puisqu’on le retrouve dans le square Desaix avec les mêmes façades.

 

Plus loin, se situe l’immeuble du journal officiel au numéro 26 de la rue Desaix.

Vincent Delaveau nous fait un rapide historique de l’institution. En 1631, Théophraste Renaudot crée la Gazette, premier journal français. Cet organe de presse non officiel est créé avec l’aide de Richelieu, sous le règne de Louis XIII. Un brevet royal de 1762 rattache la Gazette, rebaptisée Gazette de France,  au ministère des Affaires Etrangères. La Gazette qui parait deux fois par semaine prend alors un caractère officiel. Devenu Gazette nationale de France en 1789, elle publie les débats de l’Assemblée nationale constituante et les informations concernant la vie politique et le fonctionnement de l’Administration.

En janvier 1791, un décret crée un second journal « le bulletin des lois » qui devient le recueil officiel des lois de la République. Il porte le sceau de l’Etat et la signature du ministre de la Justice. Après le coup d’état de 1851 par Louis Napoléon Bonaparte, président de la République, puis l’instauration du second empire, il prend le sous-titre de journal officiel de l’Empire français. Imprimé par une société privée jusqu’en 1880, le Journal Officiel est repris directement par l’Etat à partir du 1er janvier 1881 et placé sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et des Cultes. Il  parait en version électronique depuis 2016, date de la disparation de la version papier. Elle est désormais disponible gratuitement sur le site  » Légifrance ».

Nous débouchons sur la place Dupleix où se trouvait la caserne Dupleix. Quelle est son histoire ? Le bâtiment, que les plans des XVIIe et XVIIIe siècles appellent « château de Grenelle », se situait entre la place Dupleix et la rue Desaix. En 1751, l’Etat l’ achète pour servir de revenus à l’Ecole Militaire. Le château sert pendant plus de dix ans de bureau d’études à l’architecte Jacques-Ange Gabriel. La Convention y installe une poudrerie, en août 1794 une explosion entraîne d’importants dégâts, néanmoins elle ne sera désaffectée qu’en 1820, date à laquelle on y installe un gymnase militaire. Après la fermeture du gymnase en 1838, ce n’est qu’entre 1852 à 1856 que la caserne est construite pour recevoir 1300 hommes. Durant le second Empire, le quartier abrite différentes unités de cavalerie. Pendant toute la 3e République, il sert encore de casernement à plusieurs régiments.

De 1942 à 1944, le quartier fait office de Centre d’instruction à l’usage des pompiers de Paris. En 1945, Dupleix devient un quartier de l’Arme du Train, d’abord le 19e escadron puis le 1er régiment du Train. L’armée vend le terrain en 1988, le régiment fait ses adieux au XVème arrondissement et la Ville de Paris y fait édifier la ZAC Dupleix. Les deux bâtiments et la grille de l’entrée principale en sont les seuls vestiges.

Dans la ZAC Grenelle, des immeubles en accession ont été construits et un jardin implanté, le square Nicole de Hauteclocque  fermé ce jour.

         

Nous nous dirigeons vers l’église Saint Léon, mais devons retarder notre visite une cérémonie d’enterrement s’y déroule. Nous y reviendrons plus tard.

Changement de programme, nous empruntons la rue de la Fédération avec un immeuble dit remarquable à l’angle de la rue du Capitaine Scott.

  

Rue Dupleix,  notre conférencier attire notre attention sur le n° 21, l’école primaire construite dans les années 30.

Il en profite pour nous rappeler que l’école de la 3ème République est considérée comme l’âge d’or de l’instruction publique, une école du peuple, ciment de la Nation et une école autoritaire. Il évoque une histoire méconnue celle des œuvres d’art commandées pour les écoles de l’époque. En effet, les murs des halls d’entrée des écoles des filles comme celles des garçons étaient peints.

Dans les années 1930, pour les dirigeants, la finalité de l’école est l’égalité de la société. Ils en arrivent même à concevoir que c’est à la société de créer les emplois qui accueilleront les jeunes adultes ainsi formés par le dispositif scolaire.

L’équipement typique des années 1930 des écoles primaires et maternelles se résument aux façades en brique sur une structure en béton, aux baies en bandeaux et aux jeux de volumes. Les larges baies des façades permettent une bonne aération des locaux et les ailes protègent les cours de récréation du vent. Des sculptures ornent la façade et des peintures murales agrémentent les préaux.

Rue Alasseur, petite rue qui ne paie pas de mine, coincée entre la rue Dupleix et l’avenue de Champaubert, ce sont cinq immeubles Art Déco des années 20 et 30 avec des éléments originaux et intéressants qui attirent notre attention.

Au n°5, un élégant immeuble de logements,  réalisé en 1928-1930 par les architectes Johannes Chollet et Jean-Baptiste Mathon, est particulièrement intéressant. Formant un U,  il s’organise autour d’une cour donnant sur la rue. Percé d’arcades, le rez-de-chaussée forme avec l’entresol un puissant soubassement recouvert de briques foncées. Au-dessus, les façades des logements, en brique rouge et béton enduit, sont percées de grandes baies vitrées et de loggias. Aux extrémités, les façades sont placées en léger porte-à-faux et rythmées par des éléments verticaux.         A l’intérieur des appartements, le dispositif spatial est original : les pièces sur rue sont, une fois et demie, plus hautes que celles situées sur cour. Elles sont reliées entre elles par un escalier intérieur.

Au 6, un immeuble bien différent dans la forme, signé de Charles Venner et daté de 1930.

Il faut reconnaitre que le bâtiment suivant est moins intéressant et n’est pas signé : des lignes simples, des motifs simples mais de très beaux bow-windows sur trois étages.

Au n°12, un petit immeuble plein de simplicité signé de l’architecte Charles Venner et daté de 1929.

Nous sommes rue de la Cavalerie, notre conférencier attire notre attention sur un immeuble Art Déco de 1924 dessiné par l’architecte Robert Farradèche qui abrite un garage Aston Martin, un tennis et un trinquet argentin (terrain de pelote basque) installés sur son toit. En décembre 1999, le terrain a été balayé par la tempête qui s’était abattue sur Paris. La structure qui recouvrait le terrain a été littéralement emportée, et une partie s’est écrasée sur le béton six étages plus bas, heureusement sans faire de victimes. Deux ans seront nécessaires à l’architecte Grégoire Nomidi et au bureau d’études de Robert Lourdin pour ressusciter ce terrain haut perché.

Nous « tombons » en admiration devant les portes vitrées et leurs ferronneries art déco dont les thèmes rappellent les fonctions du bâtiment  : le tennis, les joueurs et leurs raquettes et les voitures .

Puis nous nous dirigeons vers le village Suisse. En 1900, Paris accueille l’Exposition Universelle. Les différents palais présentés aux visiteurs se concentrent sur le Champ-de-Mars et les esplanades des Invalides et du Trocadéro, tandis que les pavillons des nations s’installent le long des rives de la Seine.

En marge de la manifestation, mais accessible par une passerelle, un village suisse miniature représente le charme et la quiétude du paysage helvète. D’une surface de 21 000 m², il se situe dans l’angle formé par l’avenue de Suffren et l’avenue de la Motte-Piquet. Dans ce  » Village Suisse  »  de véritables chalets accueillent des familles venues de différents cantons pour présenter aux visiteurs leur savoir-faire : horlogerie, bijouterie, broderie, tissage et bien sûr chocolaterie et fromages. Fausses montagnes et vrais rochers, concours de tir et de lutte suisse, vallées, ruisseaux, lacs et cascades… Rien n’a été oublié par les architectes Charles Henneberg et Jules Allemand, afin de présenter aux visiteurs du monde entier cette Suisse pittoresque.
L’année 1928 voit apparaitre des ilots en ciment, qui préfigurent la version moderne du Village Suisse. Le lieu gagne en surface et les marchandises proposées évoluent. Après le « tout venant » de ses débuts et les vêtements et cuirs d’après la guerre, le Village Suisse accueille progressivement des antiquaires, qui séduisent des visiteurs de plus en plus exigeants.

Dans les années 60, de grands travaux de modernisation sont entrepris dans tout Paris. Le Village Suisse n’est pas oublié et à partir de 1966, un ensemble de bâtiments d’architecture balnéaire sort de terre. Depuis,  le Village Suisse n’a cessé de gagner en notoriété. Aujourd’hui, de nombreuses galeries d’art, antiquaires accueillent les collectionneurs.

En sortant par un passage dérobé, nous nous acheminons luttant toujours contre une pluie battante vers l’église Saint Léon, nous nous y engouffrons par une porte donnant directement dans le chœur.

Vincent rappelle le contexte de la construction de cette église. Dans ce quartier du XVe arrondissement, la population s’accroît fortement au début du XXe siècle, rendant nécessaire cette construction. L’architecte Émile Brunet (1872-1952) est chargé des travaux. Il optera pour le style roman pour la façade et byzantin pour l’intérieur. La première pierre est posée en 1924. L’église ne sera achevée qu’en 1934. Construite après les lois de 1905, l’édifice est financé par le clergé et les fidèles. Il est dédié à saint Léon en hommage au cardinal Léon Amette et à Léon Thélier, époux de la principale donatrice.
L’architecte utilise le béton armé et le ciment, le tout recouvert de briques polychromes. L’intérêt est double : la structure est allégée, le coût de construction diminué.
Parmi les églises modernes de Paris, Saint-Léon se révèle être l’une des plus lumineuses et des plus harmonieuses. Avec des chapelles ornées de statues d’Henri Bouchard (1875-1960) et des mosaïques imposantes, mais qui n’envahissent pas tout l’intérieur, l’édifice offre un très bel équilibre artistique axé sur l’harmonie des formes et des couleurs, l’élégance romano-byzantine et une certaine sobriété dans l’utilisation des éléments d’ornementation.  La vaste mosaïque de la chapelle de la Vierge est l’œuvre de Pierre Chaudière et de la fille d’Auguste Labouret. Elle représente «Le Couronnement de la Vierge», encadré d’une scène de «La Nativité» et d’une scène du chemin de croix, «Jésus rencontre sa mère». De part et d’autre de ces trois principaux dessins, des anges chantent les litanies de la Vierge.

Auguste Labouret, réputé pour la mosaïque et le vitrail en dalles de verre a réalisé la mosaïque de la façade avec le pape Saint Léon, des anges et des motifs décoratifs et symboliques puis il s’attelle aux mosaïques intérieures.

Les vitraux ont été réalisés par Louis Barillet. L’artiste a déjà décoré des villas conçues par l’architecte Robert Mallet-Stevens, le pavillon de la ville de Paris à l’exposition de 1925 et la villa Noailles.

Le statuaire a été conçu par Henri Bouchard, prix de Rome qui a également réalisé le fronton sculpté de Saint Pierre de Chaillot. Il est l’auteur de la Vierge à l’enfant.

Raymond Subes, le plus grand spécialiste de la ferronnerie d’art, qui allie le fer martelé et le cuivre, a confectionné les barrières des autels (avec épis de blé et grappes de raisin) mais aussi les lustres et les garde-corps des tribunes (avec des anges musiciens).

La visite se termine. Malgré les intempéries, un petit groupe va se réchauffer dans un café à l’angle de la rue Dupleix et du boulevard de Grenelle, avec un vin ou un chocolat chaud pour les plus raisonnables !!!

Texte & photos : Jocelyne Poulizac